Comment j'ai rencontré Prof. Muhammed Hamidullah Hodja
Prof. Dr. İhsan Süreyya Sırma
C'était en 1963; j’étais étudiant à la Faculté de Théologie (İlâhiyat Fakültesi) d'Ankara. On commémorait l'Imam Serahsȋ, l'un des éminents oulémas du fiqh hanéfite. À cette occasion, une réunion avait été organisée à Ankara, dans les salles de la Faculté des lettres d'Histoire et des lettres. Nous allions écouter, de la bouche la plus autorisée au monde sur le sujet, la vie et l'œuvre de ce grand juriste Musulman.
Nos professeurs étaient assis au premier rang, et nous, les
étudiants, étions assis au milieu et au fond, attendant avec impatience
l'érudit qui allait nous éclairer. Soudain, un homme est entré, portant un kalpak
noir sur la tête, mince, grand et portant de gros livres qui ne correspondaient
pas du tout à sa taille. Nos professeurs et nous avons insisté pour l'aider à
porter les livres qu'il avait dans les mains, mais il a refusé et a porté les
gros volumes, qui pesaient presque son propre poids, jusqu'à la table où il
allait parler.
Cet homme était le Professeur Dr. Muhammed Hamidullah, et les
volumes qu'il portait dans ses mains étaient l'œuvre d'Imam Serahsi, al-Mabsut.
C'est ainsi que j'ai rencontré pour la première fois le regretté/marhûm Prof.
Hamidullah.
***
Après avoir obtenu mon diplôme de la faculté, alors que j'allais en
Angleterre pour faire mon doctorat, le destin a voulu que j'aille à Paris, et
j'y suis allé. C’etait la fin des années 1960, lorsque je suis arrivé à Paris, et
Prof. Hamidullah Hodja vivait à Paris en tant que "Heimatlos"(sans
patrie).
Il était intransigeant sur ses principes
Jusqu'à ce que je termine mon doctorat à Paris, nous allions nous
rencontrer tous les vendredis et dimanches avec ce grand érudit. Quelle immense
faveur divine c'était pour nous! Nous nous rencontrions le vendredi à la prière
dans la grande Mosquée de Paris, et le dimanche, lors des séminaires
scientifiques organisés par l'Association des Étudiants Islamiques en France
(AEIF), et nous essayions de profiter autant que possible de "l'océan
de science" du Hodja.
Lors de ces séminaires, c’était Prof. Hamidullah qui parlait
généralement, et nous, les étudiants qui étions venus à Paris du monde entier
pour faire un doctorat, étions les auditeurs. C’étaient des étudiants en maitrise
et en doctorat qui assistaient généralement aux séminaires dans notre
locale des étudiants. D'une part, nous avions peu de place, et d'autre part, le
nombre de personnes qui s'intéressaient aux sujets dont le Professeur parlait à
Paris à cette époque était faible. Cependant, à fin de donner un exemple à ce
petit nombre d'étudiants, j'ai un souvenir avec le défunt Professeur dans cette
association que j'ai raconté dans toutes mes conférences auxquelles j'ai
participé et où le public était peu nombreux.
J'aimerais partager ce souvenir avec vous ici:
C'était un jour d'hiver froid. Dans l'air humide de Paris, il
neigeait légèrement. Ce jour-là, c'était à mon tour de balayer l'association,
d'allumer le poêle et de préparer la salle pour le séminaire. Les séminaires
avaient lieu tous les dimanches à 14h30. J'étais à l'association à 14h00
précises. Après avoir nettoyé les lieux et allumé le poêle, Prof. Hamidullah a
ouvert la porte et est entré. Comme d'habitude, avec sa révérence polie, il m'a
serré la main et nous avons commencé à attendre les auditeurs.
Une demi-heure s'est écoulée; personne n'est venu. Pourtant, à
cette heure-ci, le séminaire aurait dû commencer... Je me suis penché vers le
poêle en me disant:
"Puisque personne n'est venu, éteignons le poêle et
allons-nous-en", quand le Professeur m'a interpellé:
- Que es
que tu fait?
J'ai répondu:
- Personne
n'est venu; éteignons le poêle et allons-nous-en!
Cet homme si aimable et si gentille que j’ai rencontré dans le
monde, s'est légèrement penché vers moi et, après m'avoir soulevé en me tirant
par l'oreille, a dit:
- Si nous fermons cet endroit aujourd'hui en disant "qu’il n'y a
pas d'auditeur", il ne rouvrira plus jamais! Assieds-toi en face de moi,
je vais faire le séminaire avec toi!
Il m'a fait asseoir en face de lui et m'a donné une heure de cours
comme s'il était écouté par 100 personnes...
Un gardien de la pensée islamique
Professeur Hamidullah était un érudit musulman extrêmement courtois
et exemplaire. Comme nous, les étudiants, il assistait également aux
conférences du célèbre orientaliste Henri Laoust, connu pour ses travaux
sur l'Imam Ghazali et Ahmed b. Hanbel, au Collège de France. Le
professeur Laoust, qui donnait des cours sur différents sujets chaque année,
avait consacré les conférences d'une année à l'analyse du livre Ihya de
Ghazali[1].
Sachant que Hamidullah Hoca n'avait pas besoin de ce que Laoust
racontait, je lui ai demandé un jour, après être sorti du cours, pourquoi il
prenait la peine d'assister à ces séminaires. Le défunt Prof. m'a murmuré silencieusement:
-
Apeuprès
tous les étudiants qui assistent aux séminaires sont des Musulmans et aucun
d'eux n'a lu Ihya[2]
Si je sois présent, Monsieur Laoust ne leur dira pas de fausses choses!
Je suis là pour vous protéger intellectuellement!
En effet, Monsieur Laoust demandait de temps en temps au Prof.
Hamidullah de confirmer l'exactitude de ce qu'il disait.
Il m'a ordonné de faire ma première conférence
Pendant notre séjour à Paris, Madame Pajot, la petite-fille
de 110 ans de Napoléon III, organisait des conférences tous les deux mois dans
le grand salon de sa maison. Lors d’une de ces conférences, un sujet était
choisi, ce sujet était: “la sciense selon le Christiansme et selon l’Islam’.
Étudié par un musulman du point de vue islamique et par un chrétien du point de
vue chrétien. Les deux intervenants ont parlés chez Madame Pajot et ont
presenté leur opingnons sur et des discussions avaient lieu autour du sujet.
Alors que les orateurs chrétiens changeaient à chaque sujet, Hamidullah Hoca
parlait généralement au nom des musulmans. Une fois, comme Hamidullah Hoca
devait se rendre à Istanbul pour donner ses cours habituels, il m'a ordonné de
parler au nom des musulmans lors du programme chez Madame Pajot. Bien que je
lui aie dit que je ne pouvais pas faire ce travail en tant qu'étudiant et que
j'étais occupé à écrire ma thèse de doctorat, il a dit: "C'est un ordre;
même si ta soutenance de thèse est retardée, tu feras ce que je dis! Plie ta
thèse et mets-la de côté, et travaille sur le sujet de la conférence!"
Puis, il m'a expliqué en détail ce que je devais faire, m'a dit de ne pas
m'inquiéter et est parti pour Istanbul. Le sujet était "la science".
En d'autres termes, les sujets de la science selon l'islam et la science selon
le christianisme seraient abordés; moi, en tant que musulman, et un professeur,
qui était le grand prêtre de Notre Dame de Paris, parlerions au nom des
chrétiens. Le jour prévu est arrivé et, grâce à Dieu, j'ai réussi ma
conférence. Le succès ne venait pas de moi, mais de l’islam; car c'était la
vérité.
C'est ainsi que j'ai donné ma première conférence de ma vie et
c'était sur l'ordre de mon professeur Hamidullah.
Nous avons ainsi passé cinq ans à Paris avec le Prof. Hamidullah.
Après avoir terminé nos doctorats, notre vie de
"professeur" a commencé à l'Université d'Erzurum.
Pendent ce temps nous avons invité Prof. Hamidullah à Erzurum pour
donner des cours pendant les années scolaires 1975-76 et 1976-77 dans la
Faculté de Sciences Islamiques, qui est maintenant la Faculté de Théologie. Il
a donné des cours pendant une semestre en histoire de l'Islam, histoire des
religions et droit islamique.
Les arbres fruitiers sont lapidés
Lors de son séjour à Erzurum, il a été critiqué sans pitié et sans
connaissance par certaines personnes qui n'avaient aucune part de science. Ce
qui était étrange, c'est qu'aucun de ceux qui le critiquaient n'avait lu ses
œuvres. Le Professeur les accueillait avec un sourire. L'un d'eux, que je ne
nommerai pas car il est décédé, était le défunt mufti d'Erzurum. Lorsque je
suis allé le voir et que je lui ai demandé: «Mon cher Khoca, lorsque vous
critiquez Hamidullah Hoca, quel livre de lui avez-vous lu?», il m'a
répondu: «Mon ami, certains l'ont lu et nous ont raconté ce qu'il a écrit.»
Je lui ai alors demandé: «Cher maître, est-il permis dans notre religion qu'un
musulman critique sans pitié un musulman qu'il ne connaît pas et dont il ignore
les pensées? Si ceux qui vous ont apporté ces informations sont mal
intentionnés et ignorants, que répondrez-vous à Dieu?» Le défunt mufti est
resté silencieux.
Parce qu'il était âgé, il était resté sous l'influence de certains
fanatiques et avait signé le texte qui lui avait été donné. En effet, le mufti
n'était pas suffisamment informé sur Prof. Hamidullah pour le critiquer et
n'avait lu aucun de ses livres. Ces pauvres gens qui voulaient se rendre
célèbres en critiquant des professeurs comme Hamidullah avaient réussi à
tromper le mufti.
Prof. Hamidullah ne voulait pas que nous répondions à ceux qui le
critiquaient
Hamidullah Hoca était une personne si gentille et courtoise qu'il
remerciait ceux qui le critiquaient. Un soir, nous étions assis dans la maison
d'hôtes qui lui était réservée et nous discutions de certains sujets
scientifiques. À ce moment-là, on a frappé à la porte. Quand j'ai ouvert la
porte, j'ai rencontré deux employés qui travaillaient à la bibliothèque
universitaire. Nous connaissions ces amis de la bibliothèque. Ils sont entrés
et ont dit qu'ils voulaient rencontrer Hamidullah Hoca. Je les ai fait entrer.
Le défunt Hoca, avec sa courtoisie habituelle, les a accueillis
chaleureusement, puis les amis qui étaient venus ont tendu un papier qu'ils
avaient en main et ont dit: «Nous avons trouvé autant d'erreurs dans les livres
du Hoca.» En réponse à cela, le Hoca a dit à ces deux fonctionnaires d'Erzurum qui
pensaient servir selon leurs propres opinions:
· Si mes erreurs sont si peu
nombreuses dans les centaines d'œuvres que j'ai écrites, tendez votre main et
que je la baise. J'ai tellement d'erreurs!
Après que les fonctionnaires soient partis, bien que j'aie demandé
la permission au Hoca de leur donner la réponse nécessaire, ainsi qu'à ceux qui
le critiquaient de manière ignorante et impitoyable, il ne me l'a pas permis.
Après avoir rejeté catégoriquement cette initiative, le Hoca a dit:
· Nous ne devons pas semer la
discorde entre les musulmans. Un jour, ils comprendront aussi leurs erreurs. Et
s'il y a une part de vérité dans ce qu'ils ont écrit, ils recevront même une
récompense de Dieu.
Prof. Hamidullah n'avait pas
de temps libre
Pendant son séjour à Erzurum, Prof. Hamidullah ne se contentait pas
de donner des cours à la faculté; il donnait également des conférences dans les
provinces et les districts voisins.
Il y a un autre travail très important qu'il a réalisé pendant son
séjour à Erzurum la plupart des milieux scientifiques ignorent l’existence:
Il y a un siècle environ, des orientalistes français ont traduit le
Sahih de Boukhari en français. Mais malheureusement, il y a des
centaines d'erreurs dans cette traduction. Prof. Hamidullah, pendant son séjour
à Erzurum, a examiné cette traduction et, en y relevant un volume d'erreurs,
l'a publié à Paris, ajoutant ainsi un volume à cette traduction qui en comptait
quatre.
Les deux
fonctionnaires étaient également étudiants à l'université. Dans les années qui
ont suivi, ils sont tombés dans le piège du cruel appelé "Feto" et
ont disparu avec lui.
Il a été la cause de la conversion de centaines de personnes
Ceux qui se convertissaient à l'islam à Paris passaient
généralement par l'éducation de Prof. Hamidullah. Le défunt Hoca demandait à
ceux qui allaient se convertir s'ils savaient ce qu'était l'islam. S'ils ne le
savaient pas, il disait: "Je vais vous expliquer l'Islam, ensuite vous
déciderez si vous vous convertirez ou non!" Il expliquait d'abord les
principes du tawhid, puis expliquait ce que signifiait "Kalima-i
Chahada". Après avoir appris la formule du tawhid/l’Unucité di Duie
s'ils y croyaient, il leur expliquait les conditions de la foi et de l'islam,
et insistait sur la nécessité de les respecter. Ensuite, il expliquait le halal(licite)
et le haram(illicite), et insistait avec rigueur sur le fait que la
religion, après la foi, consiste à se conformer au halal et au haram.
Nous avons assisté à des dizaines de ces conversions et en avons été témoins.
C'était un érudit encyclopédique
Ceux qui connaissaient Hamidullah Hoca savent à quel point il était
polyvalent. Il nous a laissé des centaines d'œuvres, chacune étant une
référence, non seulement dans son domaine principal, le droit, mais aussi dans
l'histoire, le hadith, le tafsir, la géographie, l'histoire des religions, les
sciences sociales et même la médecine.
Tous les livres de Hamidullah Hoca sont considérés comme des
références et des manuels pour ceux qui font des recherches dans le domaine des
sciences islamiques. Al-Majmu'atu'l-Wathaiqi's-Siyasiyya, qui contient
des documents de la première période de l'islam (l'époque du Prophète (s.a.s)
et des quatre califes), Le Prophète de l'islam, Les guerres du
Prophète, L'histoire du Coran, Introduction aux institutions
islamiques, Introduction à l'histoire islamique, Kitab al-Nabat
[1], Les six lettres diplomatiques originales du Prophète, Le droit
constitutionnel islamique, Le premier État islamique,
L'administration de l'État en islam, La naissance de l'islam, L'Envoyé de Dieu,
le Prophète Muhammad, La traduction du Coran (Aziz Kur'an) qui vient d'être
traduite en turc, etc. ne sont que quelques-unes de ses centaines d'œuvres.
Le défunt Hoca n'a reçu aucun droit d'auteur pour ces œuvres qu'il
a publiées dans le monde entier. Il demandait le prix qui devait lui être versé
et demandait qu'il soit répercuté sur la réduction du prix du livre. Ainsi, un
livre qui coûtait 50 lires passait à 45 lires.
Quitter la France
Parce qu'il était en France, il a écrit plusieurs de ses œuvres en
français, contribuant d'une certaine manière à la culture française, et malgré
son âge avancé, comme il était confronté à l'accusation de "fondamentalisme"
qui était à la mode à cette époque par certains orientalistes, il a
malheureusement été contraint de quitter Paris. De plus, le défunt Hoca était
tombé gravement malade et ne pouvait plus prendre soin de lui. Comme il n'y
avait personne en France pour s'occuper de lui, il a émigré outre-mer,
c'est-à-dire en Amérique, avec l'aide de sa nièce Sadida Hanım qui
vivait là-bas.
Pendant son séjour en Amerique, j'ai eu la chance de visiter mon
professeur chaque année, par la grâce de Dieu. Mais le Hoca ne pouvait plus
écrire ni faire de recherches. Alors qu'il était d'abord dans l'État de
Philadelphie, plus tard, ils ont été contraints d'émigrer en Floride et se sont
installés à Jacksonville. Il est resté en Amérique, d'abord à Philadelphie,
puis en Floride...
Dans la nuit du 29 octobre 2002, alors que je rentrais chez
moi après un programme à Vienne, j'ai voulu consulter mes e-mails. Un seul
e-mail était arrivé. Il provenait de la nièce de Hamidullah Hoca, Sadida
Hanım: "Votre professeur est très gravement malade!"
Le lendemain, je n'ai pas pu résister et, pour revoir mon
professeur une dernière fois, j'ai pris l’avion pour l'Amérique; Jacksonville,
en Floride.
Que Dieu soit infiniment remercié, car j'ai revu mon professeur
vivant. Je l'ai vu, mais son état était déchirant... Ce pieux érudit était
tombé dans quel état... "Quel sera notre état à nous comme lui?",
me disais-je en le regardant, tout en étant triste pour moi-même. Le Profisseur,
qui ne pouvait pas parler, me regardait fixement... Je ne sais pas s'il m'a
reconnu ou non... Mais avec ses yeux, il semblait vouloir me dire : "Voilà,
mon enfant... La vie et le monde, c'est ça qui arrive aux gens... Aie pitié de
toi, corrige tes actions et ne te soumets à personne d'autre qu'à Dieu !..."
Je suis resté avec mon professeur jusqu'au 4 novembre 2002.
C'est-à-dire que pendant que les gens faisaient la queue le dimanche 3 novembre
2002 pour voter et élire les membres de l'Assemblée nationale turque qui
soutiennent l'Amérique qui se prépare maintenant à massacrer des musulmans en
Irak (peut-être que lorsque ces lignes seront publiées, le massacre aura
commencé), moi, j'étais aux côtés de mon professeur... Mes jours comptés ont
passé vite; et laissant mon Professeur sur son lit de malade, les yeux pleins
de regrets, je suis retourné à Vienne.
Après cette rencontre à Jacksonville, je suis revenu à Vienne à
cause de mes affaires, sans pouvoir rester plus longtemps aux côtés de mon Professeur.
Je pensais à la vie et au parcours de lutte de mon professeur outre-mer. Pour
transmettre l'Islam, mon Professeur n'avait pas laissé un seul endroit au monde
où il n'était pas allé. Même lorsqu'il était invité dans le plus petit endroit,
il y allait sans hésitation et expliquait sa cause. Mais lors de ma dernière
visite, j'ai vu que mon professeur était épuisé et ne me reconnaissait même
plus... Il avait même du mal à avaler le yagourt que je lui tendais avec une
cuillère. Malgré cet état, il ne s'est jamais rebellé un seul jour, il a
toujours été reconnaissant envers son Seigneur/Allah...
La nouvelle de la mort de mon professeur
Elle est arrivée le 17 décembre 2002. Ce jour-là, à la fin de la
journée, à 23h45 précises, alors que je travaillais à mon bureau à Vienne, j'ai
lu le message suivant, très douloureux pour moi, arrivé dans ma boîte e-mail:
"Votre professeur a changé de monde - Sadida".
Mon professeur avait rejoint son Seigneur. Bien que j'aie fait des
efforts à cette heure tardive de la nuit pour l'accompagner dans son dernier
voyage, je n'ai malheureusement pas pu trouver le moyen de partir... Ah, la
séparation... Terrible séparation...
Dieu merci, le professeur Dr. Yusuf Ziya Kavakçı, qui était plus
ancien que moi dans son "apprentissage auprès du Hodja" et qui
vivait alors en Amérique, a pu arriver à temps pour les funérailles de notre
professeur, a dirigé la prière funéraire et a assisté à la cérémonie
d'enterrement.
Si votre chemin vous mène à Jacksonville, en Floride, visitez la
tombe du Hoca dans le cimetière musulman là-bas, et récitez pour lui une
Fatiha...
Inna lillah wa inna ilayhi raji'un...
Malgré tous mes efforts, je n'ai pas pu assister aux funérailles de
mon professeur... Comme le dit le beau poète Shahriyar: Ah, la
séparation, terrible séparation!!!
“Aman ayrılık, yaman ayrılık
Inna lillah wa inna ilayhi raji'un...
كُلُّ
مَنْ عَلَيْهَا فَانٍ وَيَبْقَى وَجْهُ رَبِّكَ ذُو الْجَلالِ وَالإكْرَامِ
* *
*
Prof. Hamidullah à l’Université
d’Erzurum
Grâce aux grands efforts déployés pendant les années où j'étais
assistant à l'Université d'Erzurum, nous avons réussi à faire venir le
professeur, érudit international, à Erzurum pendant deux ans pour donner des
cours d'un semestre.
Il approchait alors de soixante-dix ans. Une nuit où il faisait
moins quinze degrés à Erzurum, je devais raccompagner le professeur de la salle
de conférence où il avait donné une conférence à l'université. Malgré toutes
mes insistances, il n'a pas permis que je prenne un taxi et il n'est pas monté
dans un minibus non plus et nous avons marché jusqu'à l'université à
pied.
Alors que j'avais une trentaine d'années à l'époque, j'avais du mal
à suivre le professeur. Le professeur, agile à soixante-dix ans, a controlé le Sahih-i
Buhari, qui avait été traduit en français des années auparavant. Dans cette
traduction, qui avait été publiée en quatre volumes, il a détecté un volume
entier d'erreurs et a publié la version corrigée de ces erreurs pour le monde
scientifique.
Pendant ses travaux de
correction de cette traduction, j'ai rencontré des moments où l'on aurait dit
qu'il vivait avec les Boukhari, les Abou Hanifa et les Imam Shafi'i...
En dehors des
cours du professeur à l'université, les moments où nous avons le plus profité
de lui ont été les moments où nous le réunissions avec le regretté Professeur
Muhammed Tayyib Okiç et où nous les faisions parler ensemble.
Deux vieux amis, deux érudits conversaient, offrant aux assistants
que nous étions un exemple de discussions scientifiques avec des sujets doux,
parfois même controversés.
Bien que le fait que quelques ignorants fanatiques, sous
l'influence de certains milieux, aient lancé un mouvement contre lui nous ait
beaucoup attristés, et particulièrement Tayyib Hoca, cela ne le préoccupait
absolument pas. Il ne nous permettait même pas de répondre à ces ignorants, car
il pensait que ce serait une perte de temps et que cela déclencherait une
nouvelle fitna.
Après avoir donné des cours extrêmement utiles à l'Université d'Erzurum,
Notre Grand Professeur est retourné à Paris. Après ces dates, chaque fois que
j'allais en Europe, j'allais à Paris pour voir mon Hodca. C'est ainsi qu'un
dimanche (7 janvier 1996), sur le chemin du retour de Médine, je suis retourné
à Paris pour voir mon Hoca.
*
* *
Je l'attends avec impatience, dans le quartier de Stalingrad, dans
la boutique de mon ami Erdoğan et de son associé. Soudain, je vois arriver mon
professeur. Il porte son vieux manteau et sa coiffe à l'indienne. Il avance
lentement, à petits pas, comme un bébé qui apprend à marcher. Je me demande si
je ne me trompe pas, je me frotte les yeux et regarde à nouveau. Non, c'était
bien lui. Ce vieil homme qui s'approche de la mosquée, c'est mon professeur,
celui qui, même à soixante-dix ans, était encore si vif et agile qu'il faisait
honte aux jeunes. Et la dure réalité me frappe: lui aussi, comme tous les gens
agiles et vifs, est en train de décliner, de chanceler. Il marche à peine... Je
m'approche de lui pour lui baiser la main. Il s'arrête, me tend la main et me
regarde d'un air absent. Il ne m'a pas reconnu... Pourtant, à Erzurum, il était
si proche de moi qu'il me tirait l'oreille devant mes étudiants dans la classe
et il me connaissait bien. Il y a à peine un an, je lui avais rendu visite et
nous avions discuté pendant des heures dans sa modeste maison de la rue de
Tournon.
Le poids des années l'avait affaibli... Les poches sous ses yeux
m'ont fait un choc. Nous sommes entrés ensemble dans la mosquée, mais il se
comportait comme si je n'étais pas là. Après la prière, nous sommes allés dans
la "salle de conversion" où, chaque jour, des dizaines de
personnes choisissent l'Islam comme religion. Il me regarde fixement, ne dit
rien. Il ne parle à personne d'autre. Il s'assoit à sa place, au milieu de la
salle, et je m'assois à côté de lui. De l'autre côté de la longue table, les futurs
musulmans attendent. Le responsable de la mosquée apporte les documents
nécessaires et le Professeur, avec son stylo, se met à remplir les papiers.
Malgré mes propositions répétées, il refuse mon aide et, comme s'il craignait
que quelque chose ne se passe pas bien dans la procédure de conversion, il
s'occupe de tout lui-même. Cinq personnes, une femme zaïroise, un syrien
syriaque et trois français catholiques, sont impatientes de prononcer la Chahada
pour se convertir à l'islam. Ils attendent leur tour en le regardant avec des
regards chargés de sens. Quelle belle attente! On aurait dit l'attente de
croyants qui ont rempli leur livre de bonnes actions et qui se préparent à
entrer au paradis...
Le professeur demande à ces personnes qui veulent se convertir si
elles ont choisi l'Islam sous la contrainte de quelqu'un ou de leur propre
volonté. Après avoir reçu une réponse affirmative, il leur demande si elles
connaissent des choses sur l'Islam et comment elles l'ont découvert. Si elles
ont des idées fausses sur l'Islam, il leur dit la vérité et leur demande de
reconsidérer leurs idées. En bref, il ne veut pas qu'elles entrent dans un İslam
basé sur des informations incorrectes, fausses et inexactes. Ensuite, il leur
parle longuement des “piliers de l'islam” et en particulier de la Chahada,
en leur donnant des explications détaillées. Si elles croient et acceptent tout
ce qu'il leur a dit, il leur demande de prononcer la Chahada ouvertement
et sans craindre personne.
Plus tard, le Hodja a expliqué de nombreuses choses, de l'économie
de l'Islam à sa structure sociale, dans un langage académique mais simple,
comme s'il donnait un cours dans un amphithéâtre universitaire. Il s'est
surtout concentré sur la prière et en a parlé longuement.
Je n'oublierai jamais une phrase qui m'a particulièrement frappé:
"La prière est un acte d'adoration que chaque musulman, du président au
balayeur de rue, est tenu d'accomplir cinq fois par jour, et personne, en
raison de sa position sociale, ne jouit d'un privilège dans cet acte et dans
les autres actes d'adoration de l'Islam".
En expliquant le "ghusl" (le lavage complet du
corps), le Professeur en donne une définition intéressante: Ce ghusl,
qui est accompli lorsqu'on entre dans l'Islam, est une séparation de la
structure passée de la personne. Et il conseille vivement aux nouveaux
convertis de se laver dès qu'ils rentrent chez eux.
Après avoir comparé le jeûne avec le jeûne dans toutes les
religions, il souligne l'importance sociale et politique du Hajj (pelerinage
à la Mecque) dans la vie des musulmans et conseille d'aller au Hajj dès
que les conditions requises sont remplies.
Après avoir longuement expliqué tout cela, le Professeur revient à
la Kalima-i Tawhid et dit: "Être musulman, c'est que celui qui
croit à la Kalima-i Tawhid la déclare ouvertement. Par conséquent, à
côté de ces personnes, déclarez-la avec leurs témoignages et prononcez la Kalima-i
Shahada à haute voix!"...
Et en regardant l'expression lumineuse sur les visages de ces
personnes innocentes et pures, j'écoutais avec admiration leurs récitations de
la Kalima-i Shahada, à laquelle ils venaient de s'habituer, et j'avais
l'impression qu'ils se sentaient légers comme une plume en se débarrassant d'un
fardeau lourd de leurs épaules. Avec les personnes présentes, nous sommes à la
fois témoins et félicitons ces nouveaux musulmans... Combien ils sont
heureux...
Le Hodja se lève pour rentrer chez lui et, pour ne déranger
personne, il dit simplement au revoir à tout le monde avec sa main et se dirige
vers la porte de la mosquée... Malgré toutes mes insistances, mon Hodja, de qui
j'ai reçu de la sagesse, des conseils et des leçons pendant des années, ne me
donne pas sa main à embrasser, il sort de la mosquée et disparaît.
C'était ce
précieux savant, "homme sage" qui a agi conformément à sa science, Hekîm
(possesseur de sagesse), et maître centenaire qui a laissé des centaines d'œuvres
au monde de l'humanité, Professeur Muhammed Hamidullah Hodja...
Les Musulmans de Paris sont orphelins
Il existe un "Tabari du XXe siècle", bien connu du
monde islamique, qui a marqué la recherche islamique contemporaine, et dont le
nom est la première chose qui vient à l'esprit des Musulmans lorsqu'on parle de
Paris.
Tous ceux qui passaient par Paris, des ouvriers musulmans ou
étudiants, des touristes aux délégations diplomatiques, des chercheurs à ceux
qui demandaient des fatwas, frappaient à sa porte et lui demandaient de l'aide.
Court biographie de Muhammad Hamidullah
Je n'oublierai jamais. C'était au printemps 1967. Nous avions été
envoyés à Paris avec une bourse pour faire un doctorat. Le premier vendredi
après notre arrivée, nous sommes allés à la Grande Mosquée de Paris, rue
Monge.
Après la prière, tout le monde se félicitait et se souhaitait
mutuellement un bon vendredi. Mais parmi toute la communauté, il y en avait un
en particulier que tout le monde respectait et vénérait différemment; certains
lui serraient la main, tandis que d'autres lui embrassaient la main.
Ce monsieur respectable, qui avait gagné le respect de toute une
communauté avec son corps plus que faible, son humilité que l'on pourrait
qualifier d'exagérée et son doux sourire, était notre professeur Muhammed
Hamidullah.
Né en 1908 à Hyderabad, en Inde, le professeur Hamidullah
est l'enfant de la famille la plus enracinée, la plus savante et la plus pieuse
de la région. Sa famille a formé des érudits dans le domaine islamique pendant
des siècles, a acquis une grande expertise dans les sciences islamiques et,
grâce à son extraordinaire dévouement, a conservé des milliers de manuscrits
dans sa bibliothèque privée, nous permettant de les recevoir. C'est une famille
Musulmane exemplaire.
Après avoir terminé ses études à l'université "Osmaniye"
d'Hyderabad, notre professeur, tout en étudiant les sciences islamiques,
n'a pas négligé de suivre le monde scientifique moderne.
Plus tard, le professeur Hamidullah se rendit en Allemagne et
obtint un doctorat en droit international à l'université de Bonn.
Entre 1932 et 1935, il séjourna à Paris et termina ses travaux sur
les célèbres premiers documents politiques de l’Histoire Musulman sous la
direction du célèbre orientaliste français M. Gaudefroy-Demombynes.
Avec l'énergie inépuisable que Dieu lui avait donnée, il suivit
plus tard les cours de Louis Massignon au Collège de France, qui
s'était spécialisé dans Hallage, le grand Soufi.
Il retourna ensuite dans son pays, l'Inde. Mais l'environnement
politique de là-bas le dérangeait, alors en 1948, c'est-à-dire après que le
sous-continent indien ait été divisé en deux États distincts, l'Inde et le
Pakistan, sous l'initiative de l'Angleterre, il retourna en France et loua un
appartement modeste au cinquième étage d'un immeuble de la rue de Tournon à
Paris, où il s'installa.
Ponctuel et extrêmement méticuleux dans ses recherches, le
professeur n'a pas négligé de poursuivre à Médine la lecture du Coran qu'il
avait apprise en Inde.
Ce grand érudit, qui se précipitait là où le monde islamique
l'appelait sans présenter d'excuses, commençait à produire des œuvres épiques.
Son livre "Initiation à l'Islam", qui a été traduit en turc à
plusieurs reprises, a été traduit dans plus de vingt langues et a conduit de
nombreux non-musulmans à se convertir à l'islam.
Son ouvrage "Le Prophète de l'Islam, sa vie, son œuvre",
sur lequel il a mené des recherches pendant plus de vingt ans, était pour ainsi
dire le livre de chevet de notre génération.
Dans les années 1950, il fonde à Paris le "Centre Culturel
Islamique" avec le savant iranien Ali Mezaheri. Le jeune
ingénieur algérien Malik b. Nabi, qui n'était alors qu'un jeune
ingénieur, venait de Dreux pour participer aux activités de ce centre.
Dans les années 1960, lorsque nous sommes allés à Paris, le
professeur Hamidullah publiait la revue "France-Islam" avec Hajry
Bey, de Tunisie.
Le professeur écrivait un article dans chaque numéro de cette
excellente revue scientifique et donnait également la traduction de la sourate Fatiha
dans toutes les langues du monde.
Aujourd'hui, le professeur n'est plus à Paris et les musulmans de
Paris sont orphelins!
Lorsque notre professeur Hamidullah est venu à Erzurum en tant que
professeur invité (1975), nous étions à son service. Un jour, lors d'une
conversation privée dans le logement qui lui avait été attribué, je lui ai
demandé comment et pourquoi il avait décidé de traduire le Coran en français.
Il m'a raconté ce qui suit:
"Alors que je suivais les cours de Louis Massignon à Paris,
cet orientaliste rusé mais travailleur, remarquant que j'étais à la fois حافظ du Coran et que je connaissais l'Arabe et
l'histoire du Coran, a déclaré qu'il serait utile pour ceux qui étudient les
sciences islamiques, qu'un Musulman, par exemple moi, traduise également le
Coran, et il a même insisté pour que je le fasse. Moi aussi, bien que mon
français ne soit pas aussi bon que celui des orientalistes français, j'ai
commencé ce travail en pensant qu'au moins je ne traduirais pas sciemment de
manière incorrecte comme eux. Et j'ai immédiatement établi un programme et le
lendemain, après la prière du matin, j'ai commencé à traduire le Coran en
français. Par principe, je traduisais une page chaque matin après la prière du
matin. Et comme vous le voyez, Dieu m'a permis de l’achever; et cette
traduction (Le Saint Coran) a été imprimée à plusieurs reprises".
La revue "France-Islam", qui a été publiée pendant des
années et qui contenait des recherches sur de nombreux sujets islamiques, a
malheureusement disparu avec le décès de son propriétaire, Hajry Bey.
Cependant, les jeunes chercheurs peuvent profiter des innombrables articles
scientifiques qui se trouvent dans cette collection.
Je n'oublierai jamais: Un jour, j'attendais le professeur à l'A.E.I.F. (l'Association des Étudiants Islamiques en France), qui était l'association des étudiants musulmans. Comme toujours, il est arrivé avant tout le monde. En attendant les autres amis qui allaient écouter le professeur, celui-ci a sorti un papier de son sac et me l'a tendu en me disant: "Regarde un peu si cette traduction de la Fatiha est bien faite". J'ai répondu: "Que Dieu me pardonne, quelle est ma place à côté de vous!". Mais le professeur a dit: "Je t'ordonne de prendre la traduction et de faire les corrections nécessaires!". Sur l'ordre du professeur, j'ai pris la traduction et j'ai corrigé un ou deux mots qui avaient été traduits de manière incorrecte. En effet, cette traduction avait été faite en Kurde, une langue que je connaissais beaucoup mieux que le professeur.
Une belle souvenir
Visite au Professeur Hamidullah
New York, 4 janvier 1998
Ayant appris que mon professeur Muhammed Hamidullah, de qui j'ai
tiré de la sagesse pendant des années à Paris et à Erzurum, se trouvait en
Amérique, je ne pouvais pas repartir sans le voir. J'avais son adresse et même
le numéro de téléphone que j'avais reçu d'un ami vivant au Texas. Comme
le professeur Hamidullah n'utilisait jamais le téléphone, le numéro de
téléphone qui m'avait été donné devait appartenir à ses neveux chez qui il
logeait.
Avec excitation et un peu la peur que "le numéro qui m'a été
donné puisse être faux", je tape les touches du téléphone. Quand la voix
au bout du fil dit: "Oui, c'est Sadida", je suis tellement
heureux que ceux qui sont à côté de moi sont surpris... Mais ils ne
connaissaient pas le professeur Hamidullah pour comprendre mon
excitation et ma joie...
Sadida Hanım, qui est la
nièce du Professeur Hamidullah, me dit qu'ils accepteront de me recevoir, que
je peux rencontrer le professeur, et me donne même l'itinéraire pour me rendre
à l'endroit où ils se trouvent. Sans perdre de temps, j'ai commencé à chercher
les moyens de m'y rendre.
Je me suis dit: "Le mieux est de louer une voiture et
d'aller voir le professeur". Parce qu'en Amérique, si vous êtes un
étranger et que vous voulez aller dans un endroit éloigné, le moyen le plus
simple est de louer une voiture. La location de voitures est si répandue et
facile en Amérique que presque tous les étrangers utilisent ce service. Puis,
tout à coup, l'idée de Celaleddin, le fils de Hafız Ağabey qui
fait son master à New York, m'est venue à l'esprit.
Oui, nous pouvions y aller avec lui. J'ai immédiatement appelé
Celaleddin et lui ai dit de venir le matin après avoir fait le plein de sa
voiture. Comme il n'y avait pas de cérémonie entre son père et moi, et que les
écoles étaient fermées ces jours-ci, je savais qu'une journée qu'il passerait
avec moi n'empêcherait pas les cours de Celaleddin.
Le matin, Celaleddin est arrivé; et après avoir déterminé
l'itinéraire que nous allions suivre sur la carte, nous nous sommes
immédiatement mis en route.
Après un trajet de trois heures, nous étions en Pennsylvanie.
Comme Sadida avait très bien donné l'itinéraire, il n'a pas
été difficile de trouver sa maison à Wilkes Barre.
Selon l'adresse qui nous avait été donnée, nous étions devant la
maison.
En effet, dès que notre voiture s'est arrêtée, un monsieur vêtu à
l'indienne a ouvert la porte et a commencé à venir vers nous, et sans
hésitation, a commencé à dire "Well come/bienvenue" en
anglais.
Après avoir été accueillis à l'intérieur, nous apprenons que ce
monsieur, qui nous attendait depuis des heures, est le père de Sadida, le fils
du grand frère du professeur Hamidullah, Habibullah, Ahmed Ataullah
Bey.
Mr. Ataullah, qui est le directeur du réseau de distribution
d'énergie d'Hyderabad en Inde, et qui est également venu à Wilkes
Barre pour visiter le professeur Hamidullah comme nous, nous
présente à son fils, Muhammed İrfan, qui est aussi le propriétaire de la
maison.
Sadida Hanım, qui a facilité notre venue jusqu'ici, et surtout, qui
est allée à Paris pour amener notre Professeur en Amérique et qui a pris en
charge son service, n'était pas là... Son frère Muhammed İrfan,
réalisant sans doute que nous étions curieux de son absence, nous dit que Sadida
est professeur dans une "école islamique" à Wilkes Barre,
et qu'elle est en cours en ce moment, et qu'elle arrivera dans peu de temps.
La maison de Muhammed İrfan est une maison modeste, avec un
salon et un étage supérieur. Sa femme, sa sœur Sadida, le professeur Hamidullah
et ses parents, qui sont venus d'Inde en tant qu'invités, partagent la maison.
Comme c'était le Ramadan, aucune gâterie ne pouvait nous être offerte;
nous parlons du professeur et d'Hyderabad.
Hyderabad est l'un des plus anciens centres de sciences islamiques
de l'Inde. Des centaines d'érudits y ont été formés et des milliers de livres y
ont été publiés.
La plupart des érudits et penseurs islamiques de la dernière
période ont également été formés dans les centres scientifiques de cette
région. Le professeur Hamidullah et son frère Habibullah, qui
était un exégète décédé, sont de précieux érudits qui ont été formés dans ce
cercle scientifique.
Peu de temps après, Sadida Hanım est également arrivée.
Sadida, qui était extrêmement polie et sincère, après nous avoir
souhaité la bienvenue, est allée chercher le professeur qui était alité à
l'étage supérieur, afin de ne pas dépasser notre patience.
Le professeur Hamidullah, né en 1908, a atteint l'âge de 90 ans. Il
vit désormais dans notre monde, mais il est l'un de ceux qui sont passés dans
l'autre monde où nous irons tous.
Il a formé des milliers de professeurs, dont chacun est réparti
dans diverses universités du monde, a écrit d'innombrables articles et livres
pour le monde scientifique, et, grâce à sa prédication exemplaire, a été la
cause de la conversion de centaines de non-musulmans...
Le professeur Hamidullah est vraiment l'une des rares personnalités
qui ont été formées dans le siècle que nous vivons, un érudit qui est la fierté
des Musulmans.
Je suis très curieux de connaître le professeur Hamidullah, qui est
apprécié par tous les milieux scientifiques du monde, mais qui a été attaqué
par certains ignorants et ceux qui ne sont pas capables de le comprendre en
Turquie, et je suis impatient de savoir quand il descendra les escaliers.
Et voici que le Professeur, avec l'aide de sa nièce Sadida,
descend...
Comme je ne veux pas le perdre de vue un seul instant, je fais
attention à ne pas cligner des yeux et je regarde sa lente descente et je
murmure en moi-même:
«Voici un érudit musulman enviable, un exemple à suivre», puis je
me lève et m'avance vers lui. Après avoir embrassé sa main qu'il ne laissait
pas embrasser facilement, nous nous asseyons ensemble sur le même divan.
Il était clair d'après son attitude que le professeur ne me
reconnaissait pas. Il porte simplement sa main à sa tête comme pour saluer et
veut nous dire «bienvenue». Comme il n'entend pas et ne peut pas parler
facilement, il écrit sur le bloc-notes que j'ai pris dans ma main, et c'est
ainsi que nous communiquons. Ce n'est qu'après avoir écrit sur le papier «İhsan
Süreyya Sırma - Turquie - Erzurum » que le professeur a
pu se souvenir de moi. Pourtant, j'avais été son élève à Paris pendant des
années, et j'avais été son traducteur à Erzurum pendant deux années
universitaires... Bien qu'il connaisse très bien le turc, il expliquait le
cours en arabe ou en français par peur de «faire des erreurs», et je
traduisais. Je pensais qu'il me reconnaîtrait tout de suite à cause de cette
proximité. Mais les années avaient affaibli le professeur, lui faisant oublier
les jours, voire les mois... Il ne savait même pas que c'était le Ramadan. En
effet, il avait jeûné pour la dernière fois l'année dernière, puis il avait
oublié les mois... Comme ses proches, qui ne voulaient pas qu'il aille à la
prière du Vendredi parce qu'il ne pouvait pas marcher facilement, changeaient
constamment les jours du calendrier qui se trouvait dans sa chambre, il ne s'en
rendait pas compte et ne pouvait pas se souvenir de l'existence du vendredi. Et
bien sûr, je vois ce grand professeur, qui est حافظ
du Coran, qui connaît près de vingt langues, qui lit les hadiths par
cœur avec leurs رواة, tomber dans cet
état, et je suis émerveillé devant la puissance du Créateur... Même cette
personne exemplaire de piété étant tombée dans cet état, qui sait quel «fin»
nous attend?
Nous avons ainsi parlé avec le professeur par écrit pendant environ
une heure. Malheureusement, les doigts du professeur ne peuvent plus tenir le
stylo pour écrire... C'est pourquoi il ne fait que lire le Coran, et, par la
grâce de Dieu, il peut accomplir les cinq prières quotidiennes qui lui sont
rappelées sans avoir besoin d'aide...
Comme il serait impitoyable de déranger davantage une personne dans
cet état, nous lui demandons la permission de partir.
J'ai de nouveau embrassé la main du professeur qui s'était levé, et
sa nièce Sadida l'a emmené dans sa chambre.
Malgré toutes nos insistances, les neveux du professeur Hamidullah
n'ont pas permis notre départ, et nous sommes restés avec eux pour le repas de
l'iftar.
Les plats n'étaient pas du tout épicés, contrairement à ce que nous
attendions. En mangeant les böreks cuits à la manière d'Hyderabad, je me
remémore le passé de cette famille enracinée en Inde, je pense à la façon dont
ils ont établi cette académie scientifique au sein de la famille,
comment ils ont publié des milliers de livres, comment ils ont formé des
érudits comme mon professeur Hamidullah.
Après la prière du soir, nous disons adieu à cette noble famille d'Hyderabad
qui a pris en charge les soins de mon professeur, et nous partons pour New York
dans la voiture de Celaleddin.
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